Clémence Thurninger, cheffe opératrice diplômée de l'école nationale de cinéma de Lodz [Łódź] - Sur les clivages entre cinéma français et cinéma polonais

Clémence Thurninger, cheffe opératrice diplômée de l'école nationale de cinéma de Lodz [Łódź] - Sur les clivages entre cinéma français et cinéma polonais

Aujourd'hui, nous rencontrons Clémence Thurninger, cheffe opératrice et directrice de la photographie du film Social Butterfly (2013), sélectionné au Sundance Film Festival. Elle nous raconte ses débuts dans le cinéma, et les clivages qu'elle a pu observer entre le cinéma français et le cinéma polonais.

Social Butterfly (2013), un court-métrage de Lauren Wolkstein, directrice de la photographie Clémence Thurninger

Comment s'est forgée ta passion pour le film et le cinéma ?

Je suis née à Paris, mais j’ai habité depuis toujours dans un village avec 350 habitants, 2 rues, et pas de commerce. En vrai, c’était pas facile d’aller au cinéma. Mes parents avaient des emplois du temps chargés. Ils travaillaient beaucoup, comme ils sont médecins. On n'allait pas souvent au cinéma du coup. Ma culture s’est donc faite grâce à Canal+. Surtout que les heures ou mes parents n'étaient pas là, je regardais des films à n’importe quelle heure de la journée.

Dès que j’ai eu l'âge, j’ai pas arrêté d’aller au cinéma quand j’étais étudiante. J’étais à la fac de ciné, on n'avait pas beaucoup d’heures souvent, et des horaires plus étalées sur la semaine, ce qui nous permettait d’aller souvent au cinéma. Moi, j’habitais loin, on avait deux heures de transport pour aller à Paris. Le cinéma c’était un refuge. Au lieu d’aller glander dans un bar et jouer au babyfoot comme faisaient nos parents, nous on allait au cinéma.

Quelle est ta première rencontre avec le film ?

Je dirais qu'il y a eu deux rencontres différentes. À l’époque où j'étais enfant, c’est l’époque où est né Canal+. Mes parents, jeunes intellectuels venant de Paris et habitant à la campagne, se sont rapidement abonnés à Canal +. Je me souviens avoir toujours regardé des films sur cette chaîne. C’était la révolution, à l’époque, de pouvoir avoir accès à des films en avant-première, à des films de tous les horizons, mais aussi à des films plus exigeants.

Et il y a eu une autre rencontre qui était assez importante. Quand j’ai réfléchi à l’idée de faire des études de cinéma, ma tante s’était mise avec un assistant caméra. Il m’a gentiment proposé de m’emmener sur une journée de tournage pour me montrer ce que c'est. On est passé sur trois tournages différents de ses amis en une journée.

Comment t'as enchaîné par la suite ?

J’ai enchaîné en m’inscrivant à la fac. Moi, j'avais qu'une idée en tête, c'était de faire des films. Donc, probablement, dans ma tête ça voulait dire être réal. J’avais pas vraiment réfléchi au truc pour être honnête. Je voulais juste étudier le cinéma. C’était trop intéressant de faire des films, et trop intéressant de pouvoir évoluer dans tous ces univers différents à la fois. J’avais l’impression de ça en tout cas.

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Social Butterfly (2013), bande annonce officielle 

T'as étudié à l'école nationale de cinéma de Łódź en Pologne ?

J’ai fait 4 ans à la fac. La lumière m’a passionnée. C’est un médium qu’on ne peut pas toucher, mais on peut le sculpter. Ça m'a attiré. Du coup, j’ai cherché des écoles. Je savais que Louis Lumières était la meilleure pour devenir chef opérateur. Il y avait la Fémis aussi. Et après, j’ai cherché d’autres écoles car j'ai passé les deux concours et tu peux pas les passer indéfiniment. T'as trois essais. Du coup, j’ai fait plein de concours pour des écoles partout en Belgique, qui m’ont toutes refusée. J’ai terminé par essayer à Łódź, en me disant que de toute façon ça ne me coûte pas grand chose d’aller là-bas. Et ils m’ont pris donc je suis restée. C’est une école assez folle en plus ! C’était pas non plus au hasard que j’ai choisi d’aller jusqu'à Łódź, en Pologne. Cette école est l'une des plus réputées à l’image.

Combien de temps a duré ta formation ?

J'ai fait un master, donc 5 ans. Pour les étrangers, ils permettent de prendre une année au sein de leur école pour apprendre le polonais. Ils savent que de toute façon, tu vas rencontrer les étudiants, et tu te feras un réseau avec les gens de l’école. Tous les ans, chaque étudiant doit faire un certain nombre de films. Pour les chefs opérateurs, c’est 2 films par an à rendre en 1e et 2e année, plus 1 documentaire en 2e année. Et ensuite, en 3e année, y a un plus grand film à rendre. En 4e et en 5e année, c’est un seul film à rendre pour les deux années de master. Ça fait une petite dizaine de films à produire, réaliser et mettre en image si t’es chef op. Après, t’es pas obligé de les réaliser toi-même. Tu peux demander à un étudiant réalisateur de venir t’aider, mais personne ne t’oblige.

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Hel (2015), réalisé par Katia Priwieziencew et Paweł Tarasiewicz, directrice de la photographie Clémence Thurninger

Quelles différences entre le cinéma polonais et le cinéma français ?

Je pense que la Pologne a une culture visuelle qui est très forte, bien plus solide ou esthétique. En France, on a une vision du cinéma comme objet très intellectuel, et on n'est pas forcément à la recherche d’une pureté ou d’une magnificence esthétique. On a des meilleurs scénaristes et eux des meilleurs chefs op. Vraiment des gens qui réfléchissent le cinéma. C'est un des rares pays où en festival ils applaudissent le réal et le chef op au générique du film. C’est fort chez eux.

Maintenant, ma culture française ne m’empêche pas de revenir gratter ce que j’ai pas eu pendant mes études. Je remarque que les étudiants en France sont installés dans une communauté, une façon spéciale de penser. En Pologne, ils ne mettent pas de distinctions. Tu fais ce que tu peux, et puis après une fois que t’as du succès, tu choisis juste les projets que t’aimes. Y a des très grands chefs opérateurs qui ont fait Ida (2013), qui maintenant pourraient accepter que des projets qu’ils veulent, qui leur plaisent. Puis personne ne leur dit qu'ils ne peuvent pas faire de documentaires car ils sont chefs opérateurs de fiction. En France, les gens vont te dire " je peux pas prendre ton projet, car t’es pas dans la même catégorie que moi ".

Est ce que le fait d’aller en Pologne a changé ton image cinématographique et ta manière de travailler ?

Oui, clairement. Ça m'a ouvert à tout un univers visuel, toute une culture, et aussi à toute une histoire de l’image qui est très peu accessible en Europe de l’ouest, mais qui est très forte dans toute l’Europe de l’est. C’est assez peu connu, mais c'est pas pour rien que les polonais ont cette école qui est très réputée, et c'est pas pour rien que y a de nombreux chefs opérateurs polonais qui sont à Hollywood.

Qu’est ce qui fait un chef opérateur aujourd’hui ?

Les connaissances techniques, technologiques et scientifiques nécessaires à la compréhension de ce qui est une image. Mais aussi l'exposition de l'image, la transmission de la lumière au travers de différents objectifs. Aujourd'hui, j’ai l’impression que trop rapidement on veut se dire chef op, juste parce qu'on fait des belles images. Et je pense que c'est un problème, car c'est pas que la technique qu'on apprend quand on passe son temps à réfléchir sur comment on créé une image. Comprendre la reproduction des couleurs et la lumière, c'est ça aussi l'art du chef opérateur et du directeur de la photographie : ne pas faire uniquement des choses belles, mais faire aussi des choses qui ont du sens. Et pour que ça ait du sens, il faut avoir compris tout ce que la création de l'image implique.



Pour travailler avec Clémence Thurninger c’est simple : contactez-la !

Pour découvrir son travail : https://www.oward.co/fr/p/clemencethurninger